Le rire et son analyse par Charlie Chaplin
Dans son livre autobiographique publié en 1964, Charlie Chaplin analyse finement ce qui est à la base de son travail : l'humour. Je ne peux résister à vous faire partager ce passage. C'est à ces quelques lignes qu'on prend mesure de la dimension de ce personnage qui témoigne d'une grande connaissance de la vie et de la condition humaine...
"Je ne tenterai pas de plonger dans les profondeurs de la psychanalyse pour expliquer le comportement des hommes, qui est aussi inexplicable que la vie elle-même. Plus que la sexualité ou que les aberrations infantiles, je crois que c'est l'atavisme qui est à l'origine de la plupart des conceptions qui nous guident ; je n'ai pourtant pas eu besoin de lire des livres pour savoir que le grand thème de la vie, c'est la lutte et aussi la souffrance. Instinctivement, toutes mes clowneries s'appuyaient là-dessus. Ma méthode pour organiser l'intrigue d'une comédie était simple : cela consistait à plonger des personnages dans les ennuis et à les faire sortir. Mais l'humour est différent et plus subtil. Max Eastman l'a analysé dans son livre "A Sense of Humour". Il le définit en substance comme provoqué par la douleur prise en riant. Il écrit que l'Homo sapiens est masochiste, qu'il savoure la douleur sous de nombreuses formes et que le public aime souffrir par procuration, comme les enfants quand ils jouent aux Indiens : ils adorent se faire abattre à coup de fusil et se tordre ensuite dans les affres de l'agonie.
Je suis d'accord sur tout cela. Mais il s'agit plus d'une analyse du drame que de l'humour, bien que les deux se ressemblent beaucoup. Ma conception à moi de l'humour est quelque peu différente : c'est à mes yeux le subtil décalage qu'on distingue dans ce qui semble être le comportement normal. Autrement dit, l'humour nous permet de voir, à travers ce qui paraît être rationnel, l'irrationnel. Il renforce aussi notre instinct de survie et sauvegarde notre santé d'esprit. Grâce à l'humour, nous sommes moins accablés par les vicissitudes de l'existence. Il développe notre sens des proportions et nous révèle que l'absurde rôde toujours derrière une gravité exagérée.
Ainsi, à un enterrement où amis et parents sont réunis dans un pieux silence autour du cercueil du défunt, un retardataire arrive juste au moment où le service va commencer et se précipite à pas de loup vers sa place où l'un des affligés a laissé son chapeau haut de forme. Dans sa hâte, le retardataire s'assied dessus par accident puis, avec une expression solennelle de muette excuse, il le tend complètement écrasé à son propriétaire qui s'en empare avec un agacement non moins muet tout en continuant à suivre le service. Et la gravité de l'instant tourne au ridicule." - Charlie Chaplin, "Ma vie", pp.255/256.
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