jeudi 9 juin 2016

Chaplin et son évocation du paranormal

Chaplin et son évocation du paranormal


Charles Chaplin

C'est en relisant son autobiographie que je me suis souvenu de ce passage où Chaplin évoque ses quelques expériences liées au domaine extra-sensoriel. Ces quelques anecdotes du grand homme sont, en terme de classement, assez communs. Intuition, prémonition... des choses qui, sans aucun doute, peuvent arriver à la plupart des gens, mais ici deux d'entres elles prennent une tournure assez incroyable, surtout qu'elles impliquent des affaires criminelles, dont une assez célèbre. La dernière anecdote pourrait être le sujet d'un film chaplinesque tant le déroulement et la fin particulièrement humoristique pourrait faire croire à un scénario du grand homme. On découvre ainsi un Chaplin qui, si il n'était pas un fervent passionné de parapsychologie, avait du moins un esprit intéressé.
"[...] Wells [H.G. Wells : Ndt] ne croyait pas que, comme je le pensais, je fusse doué de perceptions extra-sensorielles. Je lui rapportai un incident qui aurait pu être plus qu'une coïncidence. Le joueur de tennis Henri Cochet, un autre ami, et moi entrâmes un jour dans un bar à Biarritz. Il y avait trois roues de loterie au mur du bar, chacune avec des numéros allant de un à dix. J'annonçai d'un ton dramatique que je me sentais possédé d'un pouvoir psychique, que j'allais faire tourner les trois roues, que la première s'arrêterait sur le neuf, la seconde sur le quatre et la troisième sur le sept. Et ne voilà-t-il pas que la première roue s'arrêta sur le neuf, la deuxième sur le quatre et la troisième sur le sept : ce qui représentait à peu près une chance sur un million.
Wells me dit que c'était une simple coïncidence
- Mais la répétition des coïncidences mérite d'être examinée, ripostai-je, et je lui rapportai une histoire qui m'était arrivée étant enfant. Je passai devant une épicerie de Camberwell Road, et je remarquai que les volets étaient mis, ce qui était inhabituel. Quelque chose m'incita à grimper sur le bord de la fenêtre et à regarder par le losange découpé dans le volet. L'intérieur était sombre et désert, mais les produits d'épicerie étaient tous là, et il y avait une grande malle au milieu de la pièce. Je sautai à terre avec une sensation de dégoût et je poursuivis mon chemin. Peu après, une affaire criminelle éclata. Edgar Edwards, un charmant vieux monsieur de soixante-cinq ans, s'était acquis cinq épiceries en assommant tout simplement les propriétaires et en s'emparant de leur affaire. Dans cette épicerie de Camberwell, à l'intérieur de cette malle, se trouvaient les corps de ses trois dernières victimes, Mr et Mrs Darby et leur bébé.
Mais Wells ne voulut rien entendre ; il me dit que pareilles coïncidences étaient chose commune dans la vie de tout le monde et que cela ne prouvait rien. Cela mit un terme à la discussion, mais j'aurais pu lui parler d'une autre expérience, du jour où étant enfant, je m'étais arrêté dans un café de London Bridge Road pour demander un verre d'eau. Un monsieur aimable et corpulent avec une moustache noire me servit. Je ne sais pourquoi, je fus incapable de boire l'eau. Je fis semblant, mais à peine l'homme s'était-il détourné pour parler à un client que je reposai le verre et que je sortis. Deux semaines plus tard, George Chapman, propriétaire du pub de la Couronne de London Bridge Road, était accusé d'avoir assassiné cinq épouses en les empoisonnant à la strychnine. Sa dernière victime agonisait dans une pièce au-dessus du café le jour où il m'avait donné le verre d'eau. Chapman et Edwards furent tous deux pendus.

George Chapman
A propos d'ésotérisme, un an environ avant de faire construire ma maison de Bervely Hills, je reçus une lettre anonyme déclarant que son auteur était voyant et qu'en rêve il avait vu une maison perchée au faîte d'une colline, avec une pelouse sur le devant qui se terminait en pointe comme la proue d'un bateau, une maison avec quarante fenêtres et une grande salle de musique au plafond très haut.
Le terrain était le site sacré sur lequel des tribus indiennes avaient pratiqué des sacrifices humain, deux mille ans plus tôt. La maison était hantée et ne devait jamais demeurer dans l'obscurité. La lettre précisait que dès l'instant où je n'étais jamais seul dans la maison et où il y avait de la lumière, il ne se produirait pas d'apparitions. Sur le moment, je ne tins aucun compte de cette lettre que j'estimai écrite par un détraqué, et je la conservai car je la trouvais bizarre et amusante. Mais en rangeant mon bureau deux ans plus tard, je tombais sur elle et la relus. Chose étrange, la description de la maison et de la pelouse était exacte. Je n'avais pas compté les fenêtres et je constatai à ma stupéfaction qu'il y en avait exactement quarante.
Bien que ne croyant pas aux fantômes, je décidai de tenter une expérience. Le mercredi était le soir où les domestiques avaient congé et la maison était vide, mais je dînai dehors. Tout de suite après le dîner, je rentrai à la maison et je me rendis à la salle d'orgue, longue et étroite comme la nef d'une église, avec un plafond gothique. Après avoir tiré les rideaux, j'éteignis toutes les lumières. Puis, me dirigeant à tâtons jusqu'à un fauteuil, je m'y installai pendant au moins dix minutes. Les ténèbres épaisses stimulaient mes sens et je crus voir des formes vagues flotter devant mes yeux ; mais je me dis que c'était un rayon de lune passant par un interstice des rideaux et se reflétant sur un carafon de cristal.
Je tirai plus soigneusement les rideaux et les formes disparurent. Puis j'attendis de nouveau dans l'obscurité : peut-être cinq minutes. Comme rien ne se passait, je me mis à parler tout haut : "S'il y a des esprits ici, je vous en prie, manifestez-vous." J'attendis un moment, mais rien ne se passa. Je repris alors : "N'y a-t-il aucun moyen de communiquer ? Peut-être un signe - en frappant, ou bien si ce n'est pas la façon de s'y prendre, peut-être par mon esprit qui pourrait me pousser à écrire quelque chose ? Ou peut-être un courant d'air froid indiquerait-il une présence."
J'attendis encore cinq minutes, mais pas de courant d'air ni de manifestation d'aucune sorte. Le silence était accablant et j'avais l'esprit vide. Je finis par renoncer et j'allumais une lampe. Puis je passais dans le living-room. Les rideaux n'avaient pas été tirés et la silhouette du piano se détachait sous le clair de lune. Je m'assis et mes doigts parcoururent les touches. Je finis par m'arrêter sur une note qui me fascinait et je la répétai à plusieurs reprises jusqu'au moment où ses échos firent vibrer toute la pièce. Pourquoi faisais-je cela ? Peut-être était-ce là la manifestation que je demandais ! Je continuai à répéter la même note. Soudain une bande de lumière blanche m'entoura la taille ; je fis un bond et m'immobilisai, le cœur battant à tout rompre.

Charles Chaplin
Une fois remis de mes émotions, j'essayai  de raisonner. Le piano était dans une alcôve auprès de la fenêtre. Je me rendis compte alors que ce que j'avais pris pour un ectoplasme était la lumière d'une automobile descendant le flanc de la montagne. Pour m'en assurer, je m'assis au piano et je frappai la même note à plusieurs reprises. Tout au bout du living-room se trouvait un passage sombre et, en face, la porte de la salle à manger. Du coin de l’œil, j'aperçu la porte ouverte et je vis quelque chose sortir de la salle à manger et s'engager dans le couloir noyé d'ombre, une sorte de monstre grotesque aux allures de nain avec des cercles blancs autour des yeux comme un clown, et qui avançait en se dandinant vers le salon de musique.
Avant que j'eusse pu tourner la tête, il avait disparu. Horrifié, je me levai et j'essayai de le suivre, mais je ne le vis point. Me disant que dans l'état de nerfs où j'étais, un cil tombé sur la cornée aurait pu créer l'illusion, je me remis à jouer du piano. Mais il ne se passa plus rien d'autre, et je décidai d'aller me coucher.
J'enfilai mon pyjama et j'entrai dans la salle de bains. Quand j'allumai la lumière, mon fantôme était là, assis dans la baignoire et me regardait ! Je bondis hors de la salle de bains presque à l'horizontale. C'était un putois ! Le même petit animal que j'avais vu du coin de l’œil, mais en bas il m'avait paru beaucoup plus grand. Le matin, le maître d'hôtel mit la petite bête affolée dans une cage et nous finîmes par l'apprivoiser. Mais un jour, le putois disparut et nous ne le revîmes jamais." - Charles Chaplin, "Ma vie" (pp.423/424/425/426)

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