Le blues baroque
Davey Graham
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Davey Graham, "Anji"
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LE
BLUES BAROQUE
Par
Catherine de Camaret
Publié dans Guitare &
Claviers n°76, juillet/août 1987
L'extrême précision du jeu
classique développé sur les cordes métalliques de la guitare folk
est un peu la clé originelle du blues baroque. Cette fusion d’une
technique et d’une inspiration musicale très ouverte a marqué
tout autant que la naissance d’un style, l’émergence d’un
nouveau son.
Avec son très célèbre Anji, créé au début des années soixante, Davey Graham peut être considéré comme l’inventeur de ce style que Bert Jansh et John Renbourn ont, quant à eux, « officialisé ». Jusque-là, en effet, les différentes techniques utilisées sur la guitare folk avaient toutes en commun d'exécuter à la main gauche des accords types qui étaient les points de repères d’un jeu mélodique plus ou moins élaboré. A partir d’une position de main gauche fixe, les doigts quittaient à tour de rôle leurs points d’ancrage de façon à jouer une ou plusieurs notes gravitant autour de ce point, et y retournaient au plus vite. De la même manière, la main droite n'utilisait qu’un petit nombre d’arpèges types, dont la très fameuse basse alternée ou « picking », héritée des luthistes du XVIème siècle. Elle ne s‘écartait que timidement de la régularité d’un arpège pour amorcer un jeu mélodique. Ce sont des guitaristes comme Big Bill Bronzy et Rev. Gary Davis qui ont poussé cette technique au maximum de sa sophistication.
Mais quitter ces points de repère à la main gauche comme à la main droite, c’était s’engager dans l’inconnu. Plus question de se fier à des automatismes qui, s’ils sécurisaient le jeu, lui en traçaient ses limites. Cette remise en question totale du jeu passait par une réflexion beaucoup plus fine sur l’action séparée des deux mains, leur synchronisation. En d’autres termes, il a fallu créer le maillon manquant entre la technique des guitaristes classiques, et le registre sonore et musical de la guitare folk. De la musique populaire savante, tel est un peu le paradoxe du blues baroque.
Mais c’est précisément son ouverture technique qui lui a permis, musicalement aussi, une remise en
question totale : finies les rassurantes progressions d’accords. En effet, jouer une bonne vieille suite
d’accords du type Do Fa Sol en position standard, quitte à les arpèger de mille façons différentes, n’entraîne aucun risque musical. Mais rechercher la même harmonie sans utiliser ces positions types
oblige à « entendre » un minimum ce que l’on joue et à réfléchir aux doigtés en conséquence.
Faute de comprendre la fonction des sons (leur relation mutuelle), du moins faut-il alors « entendre » intuitivement leur mouvement. L’exceptionnelle vitalité du style tient en grande partie à cette redécouverte très empirique et surtout sensible de certaines règles classiques. Mais cette démarche, le plus souvent menée par des autodidactes, a toujours fait précéder le besoin musical à la technique. De l‘a découle la coloration entièrement neuve apportée au répertoire folk/blues traditionnel. En même temps, les procédés classiques d’écriture se trouvent régénérés par leur utilisation sur des musiques plus récentes.
De fait, par sa large utilisation du contrepoint, le blues baroque a d’abord été une façon très originale de jouer le blues. Mais son attirance pour des sonorités nouvelles et son énorme pouvoir d’absorption par rapport à des éléments musicaux extrêmement divers en fait avant tout une musique de fusion. Et c’est parce que ces influences qui le traversent, disparaissent en tant que telles pour former une matière sonore nouvelle, que l’on peut parler de « style ».
Ceux qui sont familiers de John Renbourn connaissent sa manière très baroque de traiter le folk/blues et son art subtil de faire « swinguer » le contrepoint. Que l’on écoute aussi les arrangements de Pierre Bensusan et l’abondance des voix qui s’entrecroisent. Cette richesse créative du blues baroque a donné naissance à une multitude de pièces instrumentales où la guitare folk n’est pas toujours l’instrument unique : flûte traversière, percussions, contrebasse, violon, guitare électrique y ont aussi trouvé leur place, mais toujours en formations très réduites.
Avec son très célèbre Anji, créé au début des années soixante, Davey Graham peut être considéré comme l’inventeur de ce style que Bert Jansh et John Renbourn ont, quant à eux, « officialisé ». Jusque-là, en effet, les différentes techniques utilisées sur la guitare folk avaient toutes en commun d'exécuter à la main gauche des accords types qui étaient les points de repères d’un jeu mélodique plus ou moins élaboré. A partir d’une position de main gauche fixe, les doigts quittaient à tour de rôle leurs points d’ancrage de façon à jouer une ou plusieurs notes gravitant autour de ce point, et y retournaient au plus vite. De la même manière, la main droite n'utilisait qu’un petit nombre d’arpèges types, dont la très fameuse basse alternée ou « picking », héritée des luthistes du XVIème siècle. Elle ne s‘écartait que timidement de la régularité d’un arpège pour amorcer un jeu mélodique. Ce sont des guitaristes comme Big Bill Bronzy et Rev. Gary Davis qui ont poussé cette technique au maximum de sa sophistication.
Mais quitter ces points de repère à la main gauche comme à la main droite, c’était s’engager dans l’inconnu. Plus question de se fier à des automatismes qui, s’ils sécurisaient le jeu, lui en traçaient ses limites. Cette remise en question totale du jeu passait par une réflexion beaucoup plus fine sur l’action séparée des deux mains, leur synchronisation. En d’autres termes, il a fallu créer le maillon manquant entre la technique des guitaristes classiques, et le registre sonore et musical de la guitare folk. De la musique populaire savante, tel est un peu le paradoxe du blues baroque.
Mais c’est précisément son ouverture technique qui lui a permis, musicalement aussi, une remise en
question totale : finies les rassurantes progressions d’accords. En effet, jouer une bonne vieille suite
d’accords du type Do Fa Sol en position standard, quitte à les arpèger de mille façons différentes, n’entraîne aucun risque musical. Mais rechercher la même harmonie sans utiliser ces positions types
oblige à « entendre » un minimum ce que l’on joue et à réfléchir aux doigtés en conséquence.
Faute de comprendre la fonction des sons (leur relation mutuelle), du moins faut-il alors « entendre » intuitivement leur mouvement. L’exceptionnelle vitalité du style tient en grande partie à cette redécouverte très empirique et surtout sensible de certaines règles classiques. Mais cette démarche, le plus souvent menée par des autodidactes, a toujours fait précéder le besoin musical à la technique. De l‘a découle la coloration entièrement neuve apportée au répertoire folk/blues traditionnel. En même temps, les procédés classiques d’écriture se trouvent régénérés par leur utilisation sur des musiques plus récentes.
De fait, par sa large utilisation du contrepoint, le blues baroque a d’abord été une façon très originale de jouer le blues. Mais son attirance pour des sonorités nouvelles et son énorme pouvoir d’absorption par rapport à des éléments musicaux extrêmement divers en fait avant tout une musique de fusion. Et c’est parce que ces influences qui le traversent, disparaissent en tant que telles pour former une matière sonore nouvelle, que l’on peut parler de « style ».
Ceux qui sont familiers de John Renbourn connaissent sa manière très baroque de traiter le folk/blues et son art subtil de faire « swinguer » le contrepoint. Que l’on écoute aussi les arrangements de Pierre Bensusan et l’abondance des voix qui s’entrecroisent. Cette richesse créative du blues baroque a donné naissance à une multitude de pièces instrumentales où la guitare folk n’est pas toujours l’instrument unique : flûte traversière, percussions, contrebasse, violon, guitare électrique y ont aussi trouvé leur place, mais toujours en formations très réduites.
Bien que très accessible,
le blues baroque est une musique qui se redécouvre à chaque écoute,
un peu comme un paysage que l'on regarde à différentes heures de la
journée. On peut regretter que la domination des musiques
électroniques ne lui assure qu'une diffusion insuffisante sur les
ondes radiophoniques. Mais là n'est pas la question puisqu'il existe
de toute façon une absence totale de concession commerciale chez
ceux qui composent dans le style. Tous ont une exigence expressive
qui exclut la docilité du marketing.
De ce fait, depuis son
apparition en 1965, le blues baroque connaît ce paradoxe d'être
écouté ou joué par un auditoire en marge du grand public, tout en
ayant des adeptes aux quatre coins du globe. Compte tenu de la
complexité du style et de l'absence quasi totale à l'époque d'une
« école » pour l'enseigner, seule a tenu bon une poignée
d'aventuriers passionnés et disséminés.
John Renbourn (Guitare & Claviers)
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