Voilà dix-sept ans que le festival Intramurock met le rock à l'honneur dans l'enceinte même de Boulogne sur Mer. Véritable pépinière de nouveaux talents son succès doit en bonne partie à la qualité en terme de sonorisation, de lumières et toutes ces choses qui font la définition d'un festival : stands (merchandising, exposition d'artistes...etc), restauration, bar...etc.
Yehudi Menuhin est certainement un des plus grand violoniste classique du XXème siècle. Décédé en 1999 à l'âge de 83 ans, Yehudi Menuhin témoigne d'un parcours musical et humain particulièrement riche. Il fut également un grand humaniste. Il fonde en 1994 le projet MUS-E, une initiative pour la formation musicale des enfants issus de milieux défavorisés.
L'entretien qui suit est extrait du livre "Sans les animaux le monde ne serait pas humain", écrit par Karine Lou Matignon et préfacé par Boris Cyrulnik (Ed. Albin Michel, 2000).
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Karine Lou Matignon : Jouer de la musique, est-ce une lutte entre discipline et liberté ou bien un état de grâce permanent ?
Yehudi Menuhin : Ce sont les deux. La grâce est renforcée quand on a plus de facilité. On enseigne si mal le violon. La discipline se résume trop souvent a des règles rigides, un travail de huit heures d'affilée qui, au final, ne font que renforcer les mauvaises habitudes, accumuler les frustrations. Il faut au contraire chercher une certaine liberté dans la discipline. Après tout, jouer de la musique est une quête vers l'harmonie. Comme le danseur, le poète, le compositeur, le musicien doit certes se plier chaque jour à une discipline mais avec la même liberté que celle de l'oiseau. Nous nous sommes habitués à l'idée qu'un maximum d'efforts donnait la mesure de notre succès et que rien ne pouvait être atteint sans la force des muscles et de la volonté, alors que la force se résume simplement à un état d'équilibre intérieur. Pour un violoniste, rien ne doit bouger sans un accord total de toutes les parties de son corps. Il y a la une souplesse presque animale. J'aime à dire que le violoniste est un être mi-tigre mi-poète. Poète parce qu'il traduit la vie, la mémoire, la pensée en rythme, en mélodie, en symbole, qu'il nous fait accéder a une autre dimension à la fois objective et subjective qui nous permet de nous révéler. Tigre parce que, comme l'animal, il dégage une agilité, une puissance intérieure. Il doit rassembler tout son corps, l'équilibrer pour être à la fois précis et rapide. Paganini était un tigre. Le violoniste est l'incarnation d'une agilité animale au service d'une transfiguration singulièrement humaine.
Entre un violon et celui qui en joue, il existe une relation particulièrement sensuelle, primitive, profondément animale. C'est une relation d'amour très forte, très sensuelle, faite d'étreintes et de caresses. La voix que l'on donne au violon dépend de sa nature profonde. Comme une corde que vous faites sonner. Au bout d'un moment, vous donnez un rythme, ce n'est pas la corde qui donne mécaniquement la mesure, c'est vous, votre intérieur, votre gravité. Avec le violon, c'est la même chose. Vous pouvez étrangler un violon en ayant des soucis, un moment de déprime. L'espace perd alors de son élasticité alors que l'ampleur même du mouvement dépend du degré de flexibilité. Ce n'est pas la sécurité qu'il faut chercher - si on la cherche, on est perdu - mais l'équilibre dans le mouvement par le centre, comme un funambule. Celui qui joue du violon se trouve en harmonie avec l'alternance du repos et du mouvement. Il doit constamment s'adapter, jouer, et écouter avec son corps. Alors la musique devient vivante.
Il existe des rythmes qui animent chaque entité - humaine, animale, végétale - avec des variations, des révolutions, des pauses et des balancements. La créativité est une vibration qui relie l'artiste a son époque, son passé, son devenir, au monde qui l'entoure. Bach lançait un pont entre les hommes et Dieu. Bartok dépassait la condition humaine pour atteindre le ciel et l'enfer. Il avait atteint une telle sensibilité qu'elle le rendait apte, disait-on, à entrer en communication avec les animaux qu'il croisait durant ses promenades en forêt. Par la musique, nous faisons partie intégrante de la structure vibrante de l'univers.
Je pense comme Einstein : on ne peut pas échapper au fait qu'il y a une relation entre la lumière et la matière. Son inspiration était intangible, religieuse. Pour moi, la musique me fait prendre conscience qu'il y a une interdépendance entre toutes les formes de vie. Nos oreilles sont des outils qui structurent les sons, les organisent. Je pense que leur perfection vient de nos origines marines, l'eau étant un formidable univers où le son prend une tout autre dimension. Nos cellules faites d'eau ont sans doute elles aussi une mémoire sonore parce que nous écoutons aussi avec notre corps. Aujourd'hui, on a tellement séparé les éléments de nos vies de citadins que la majeure partie des gens s'imaginent que la musique est réservée pour les grandes occasions. Elle ne fait malheureusement plus partie intégrante de l'existence contrairement aux Indiens ou aux Africains ; cela va de pair avec ce rapport que nous avons perdu avec la nature. Résultat, nous sommes devenu ennemis de nous-même.
Nous cherchons qui nous sommes à travers la confrontation plutôt que l'harmonie. Toute vie commence avec la sensation. L'ouïe par exemple, c'est le toucher des vibrations. Par la musique, on peut réapprendre à se servir de ses sens. Bartok composait en se souvenant de l'odeur de sa terre natale, de ses couleurs. Un état d'âme devient un mouvement, un son se traduit en couleurs ou en variations de température, certains morceaux induisent le chaud, le froid, l'humidité. Elle est aussi un langage plus précis sur le plan émotionnel que les mots. Elle se situe entre le tangible et l'intangible, l'intellect et l'intuition, la culture et l'animalité, et c'est à cette charnière que se situe notre vie. On nomme une musique, un compositeur : Mozart par exemple, et point final. Enesco, mon maître, me disait à propos de la musique de Mozart : « C'est un vignoble poussant sur les pentes d'un volcan. »
C'est tout à fait ça. Il faut avoir des réponses organiques, en particulier pour les enfants qu'il faut éveiller. La découverte de la musique de son propre pays permet aussi à celui qui l'apprend de retrouver son propre patrimoine, sa terre, ses couleurs et parfums. L'inspiration de nos compositeurs n'a pas été sans un certain brassage des cultures. Mozart s'est intéressé aux sources italiennes tout comme Bach, Bloch a révélé son inclinaison pour la musique nomade en se laissant séduire par les Indiens d'Arizona, Beethoven s'est inspiré du folklore écossais. Toute l'histoire humaine, des arts aux religions, repose sur la diversité des cultures et l'ouverture à la nature. C'est ce qui donne un sens à notre quête de la vérité. Les théories, elles, sont bâties sur des préjugés et prennent l'apparence de philosophies parce qu'elles sont en apparence structurées, mais au fond elles empoisonnent.
Londres, février 1995 ("Sans les animaux le monde ne serait pas humain", pp.57/58/59/60)
Yehudi Menuhin et Stéphane Grappelli : "Tea for two" (1978)