ERIC CLAPTON
Dieu a enfin retrouvé le paradis...

Interview publiée dans Guitare & Claviers n°70, janvier 1987

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Eric Clapton (Guitare & Claviers n°71, janvier 1987)

ERIC CLAPTON, "AUGUST" (1986) - "Seul l'avenir dira si l'approche adoptée par le duo Clapton/Collins pour cette seconde collaboration était la bonne. L'an dernier, « Behind The Sun », quoique recelant d'excellents passages (notamment "Same Old Blues" et "Just Like a Prisonner", deux longs moments d'anthologie guitaristique), pêchait par excès de densité, manque de cohésion (trois titres remplacés en toute dernière minute par Warner), sans toutefois parvenir à donner une impression de variété suffisante. Cette fois, après un travail longuement réfléchi Phil Collins est monté en première ligne : producteur, il a sculpté les sonorités, mais aussi les chansons et leurs arrangements, introduisant clap-tracks, séquenceurs, synthés et abondance de cuivres. Batteur et choriste, il a insufflé à tout l'album (à l'exception de la chanson du film « The Colour Of Money », produite par Tom Dowd), l'énormité et le punch saccadé de son jeu, de même que l'enrubannage de ses falsetto. Son bon goût a été de ne pas aller au-delà et faire de Clapton un Phil Bailey ou une Frida. Tout juste s'est-il assuré que l'élégant (voir la pochette, genre « mâle romantique tourmenté en bord de Tamise, une fin d'après-midi ») aux mensurations blues et r'n'b épouse impeccablement ses nouveaux atours. Le groupe de base est le quatuor magique de juillet dernier (les deux « C », Nathan East et Greg Philinganes), augmenté fréquemment de cuivres parfaitement bluesy (pas question de Phoenix Horns ici, mais des Brecker Brothers, de John Faddis et Dave Bergeron ; difficile de dégotter mieux), avec les apparitions de Tina Turner (pour un duo hargneux sur "Tearin'Us Apart", sacré lifting apporté à du blues chicagoan parfaitement pachydermique) et de Gary Brooker, assisté d'une équipe cent pour cent anglaise sur "It's In The Way That You Use If", du film déjà mentionné. Les tempo rapides et funky dominent largement, abandonnant l'image « laid back » du Clapton des Seventies au... passé, enfin ! Rarement aura-t-il sonné aussi noir, ce qui est un comble pour quelqu'un qui se consacre au blues depuis vingt-cinq ans, et dont les seules incartades durables furent consacrées au reggae et au rhythm'n'blues. Le mérite en revient à Collins, qui a su faire de cet album un disque de 86, énergétique et dansant, sans rien perdre des qualités intrinsèques de son client, voisin, ami et partenaire. Reste à savoir si les compositions se révéleront suffisamment solides et efficaces, autant pour l'usage immédiat que sur la durée : la majorité est due à Eric, en collaboration avec ses trois musiciens, voire Robbie Robertson (Use It) ou Stephen Bishop (Holy Mother, dédiée à feu Richard Manuel, du Band). Les autres étaient des commandes, à Lamont Dozier et à l'ancienne choriste Marcy Levy ; la seule reprise étant Bad Influence de Robert Cray (dont on ne dira jamais assez de bien), un shuffle affublé ici d'une structure empruntée au "Isn't She Lovely" de Stevie Wonder. Au bout du compte, un changement de cap complet, bienvenu et relativement courageux, qui désorientera les conservateurs, sans garantie quant aux autres. Reste à savoir si Eric ne s'est pas trompé de saison et si Phil Collins vaut la grenouille d'Albert Simon." (Y.B. - Guitare & Claviers n°70, janvier 1987)